Le Parlement européen a appelé jeudi à la libération “urgente” du cinéaste ukrainien emprisonné en Russie Oleg Sentsov, lui décernant son prestigieux Prix Sakharov 2018 au grand dam de Moscou qui a dénoncé une décision “totalement politisée”.
Originaire de la péninsule ukrainienne de Crimée, annexée par la Russie en 2014, Oleg Sentsov, 42 ans, est détenu dans la colonie pénitentiaire russe de Labytnangui, au-delà du cercle polaire arctique.
Père de deux enfants, le cinéaste arrêté chez lui en mai 2014, a été condamné en août 2015 à 20 ans de prison pour “terrorisme” et “trafic d’armes”, à l’issue d’un procès qualifié de “stalinien” par l’ONG Amnesty International.
“Oleg Sentsov est devenu un symbole pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde“, a déclaré le président du parlement européen Antonio Tajani, sous les applaudissements nourris des eurodéputés avant de souligner “l’urgence” de sa libération compte-tenu de “son état de santé”.
“Sa bataille qui met en péril sa propre vie nous montre l’importance de défendre les droits humains partout dans le monde et quelles que soient les circonstances“, a insisté Antonio Tajani.
“J’espère que cela va aider Oleg à rester fort et je suis bien sûr heureuse pour lui. Il l’a mérité“, a réagi auprès de l’AFP sa cousine Natalia Kaplan, précisant ne pas avoir d’informations récentes sur son état de santé.
Mais à Moscou, l’attribution du Prix Sakharov au cinéaste ukrainien a déclenché la colère des autorités. “La décision qui a été prise est totalement politisée“, a estimé la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova.
“Prisonniers politiques”
“Attribuer un prix à une personne reconnue coupable de terrorisme est la dernière étape d’un mépris marqué pour les normes et les lois“, a pour sa part fustigé Piotr Tolstoï, vice-président de la chambre basse du Parlement russe.
Oleg Sentsov avait débuté une grève de la faim à la mi-mai pour obtenir la libération de tous les “prisonniers politiques” ukrainiens détenus en Russie, avant d’y mettre fin 145 jours plus tard, début octobre, afin, disait-il, d’éviter d’être nourri de force.
Par la voix d’une porte-parole, la Commission européenne a également salué jeudi son “incroyable courage, sa détermination et son altruisme“.
Le G7 ainsi que de nombreuses personnalités politiques ou du monde culturel ont appelé ces derniers mois à sa libération.
Le cinéaste est connu pour son film “Gamer“, qui raconte l’histoire d’un adolescent participant à des compétitions de jeux vidéo tout en faisant face à une vie quotidienne difficile dans un village d’Ukraine. Il avait été projeté dans plusieurs festivals et récompensé à Rotterdam en 2012.
Sa situation est emblématique des relations à couteaux tirés entre la Russie et l’Ukraine depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 de pro-occidentaux à Kiev, suivie de l’annexion de la Crimée et d’un conflit armé avec les séparatistes prorusses en Ukraine, qui a fait plus de 10.000 morts.
Oleg Sentsov était en lice avec deux autres finalistes sur la “short list” du Prix Sakharov: le militant marocain, également incarcéré, Nasser Zefzafi ou un groupe d’ONG qui portent secours aux migrants en Méditerranée.
Le Prix Sakharov qui récompense “une contribution exceptionnelle à la lutte pour les droits de l’Homme dans le monde” sera remis lors d’une cérémonie solennelle prévue le 12 décembre dans le vaste hémicycle de Strasbourg. Un membre de la famille d’Oleg Sentsov pourrait être appelé à le recevoir en son absence forcée.
A plusieurs reprises depuis sa création en 1988, le Prix Sakharov a fait figure d’antichambre du prix Nobel de la Paix. Son premier lauréat, Nelson Mandela, a été “nobélisé” en 1993. Et tout récemment encore, en 2018, la Yazidie Nadia Murad, (Prix Sakharov 2016) et “l’homme qui répare les femmes”, le gynécologue congolais Denis Mukwege (2014), ont été récompensés ensemble par le comité norvégien.
Doté de 50.000 euros, le Prix Sakharov doit son nom au scientifique soviétique Andreï Sakharov (1921-1989), grande figure de la dissidence à l’époque de l’URSS.
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