Athanase Ivanovitch regagnait le logis et disait en s’approchant de sa femme : ’Que vous en semble, Pulchérie Ivanovna, ne serait-il pas temps de manger quelque chose?
– Mais que pourrait-on bien manger maintenant, Athanase Ivanovitch ? Des galettes au lard ou des petits pâtés à la graine de pavots ? ou encore des oronges salées ?
– Va pour les oronges et les petits pâtés”, répondait Athanase Ivanovitch ; et la table aussitôt se couvrait d’une nappe sur laquelle apparaissaient oronges et petits pâtés.
Une heure avant de dîner, Athanase Ivanovitch cassait encore la croûte : il avalait une bonne portion d’eau-de-vie dans un antique gobelet d’argent, et la faisait passer à l’aide de champignons, de petits poissons sèches et d’autres abat-faim. On dînait à midi. Outre les plats et les saucières, la table supportait une quantité de petits pots hermétiquement clos afin que l’appétissant fumet de la vieille cuisine ne pût s’évaporer. Pendant le repas, la conversation roulait le plus souvent sur des sujets intimement liés à cette grande affaire.
“II me semble, commençait d’ordinaire Athanase Ivanovitch, il me semble que ce sarrasin est un peu brûlé ; qu’en pensez-vous, Pulchérie Ivanovna ?
– Mais non, mais non, Athanase Ivanovitch, mettez-y un peu plus de beurre, il ne vous paraîtra plus brûlé ; ou, si vous préférez, versez par-dessus un peu de cette sauce aux champignons.
– Soit, répondait Athanase Ivanovitch en lui tendant son assiette ; voyons ce que cela donnera.”
Après le dîner, Athanase Ivanovitch s’en allait faire la sieste. Au bout d’une heure, Pulchérie Ivanovna lui apportait une pastèque coupée en tranches et disait :
“Goûtez donc cette pastèque, Athanase Ivanovitch, vous verrez comme elle est bonne.
– Oui, le cœur en est rouge à souhait ; mais ne vous y fiez pas, Pulchérie Ivanovna, rétorquait Athanase Ivanovitch en prenant une tranche de grosseur raisonnable ; il y en a qui sont bien rouges et qui cependant ne valent rien.”
Mais la pastèque avait tôt fait de disparaître. Quelques poires lui succédaient, puis nos deux époux faisaient un tour de jardin. De retour au logis, Pulchérie Ivanovna vaquait à ses affaires, tandis que son mari, installé sous l’auvent, face à la cour, considérait le cellier, lequel s’ouvrait et se refermait sans cesse, livrant passage aux servantes qui, se poussant l’une l’autre, apportaient et remportaient toutes sortes de broutilles dans des caissettes, des tamis, des corbeilles et d’autres récipients encore. Au bout d’un certain temps il envoyait quérir Pulchérie Ivanovna, ou bien il allait la trouver lui-même, et lui disait :
“Que pourrais-je bien manger, Pulchérie Ivanovna ?
– Je n’en sais trop rien, répliquait celle-ci. Voulez-vous que je vous fasse servir les tartelettes aux fraises et à la crème que j’ai mises de côté exprès pour vous ?
– Va pour les tartelettes, répondait Athanase Ivanovitch.
– Vous préférez peut-être de la gelée de fruits ?
– Va pour la gelée de fruits”, répondait Athanase Ivanovitch.
Et, sur-le-champ, on apportait toutes ces bonnes choses, qui bien entendu ne faisaient pas long feu.
Avant le souper, Athanase Ivanovitch prenait encore une légère collation. A neuf heures et demie le souper était servi. Dès le lever de table on allait dormir, et le silence le plus profond régnait dans ce petit coin de terre si actif et si tranquille à la fois.
Il faisait dans la chambre à coucher une chaleur si torride que bien peu de personnes eussent pu y demeurer quelques heures ; cependant, pour avoir plus chaud encore, Athanase Ivanovitch couchait sur le poêle, dont la haute température le forçait à se lever plusieurs fois pendant la nuit et à se promener de long en large dans la pièce. Au cours de ces promenades, if lui arrivait de gémir.
“Qu’avez-vous donc à gémir, Athanase Ivanovitch ? s’informait dans ces cas-là Pulchérie Ivanovna.
– Dieu le sait, Pulchérie Ivanovna ; il me semble que j’ai un peu mal à l’estomac, répondait Athanase Ivanovitch.
– Vous feriez peut-être mieux de prendre quelque chose, Athanase Ivanovitch.
Croyez-vous, Pulchérie Ivanovna ? Après tout, que pourrait-on bien prendre ?
– Du lait caillé ou de la compote de poires tapées.
– Soit, on peut toujours essayer”, acquiesçait Athanase Ivanovitch.
Une servante, tirée du sommeil, allait fouiller dans les armoires ; Athanase Ivanovitch mangeait une pleine assiettée ; après quoi il avait coutume de dire : “II me semble que je vais un peu mieux.”
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